Mes parents m'ont donné comme prénom Seyrane. J'ai appris dernièrement que cela signifiait « celle qui aime contempler le paysage ». Je savais déjà que Seyrane c'est la femme du héros de Yachar Kemal, de Mèmed le Mince. Seyrane c'est celle qui aime vivre au bord de la mer, car elle s'y sent bien.
Élevée à l'européenne par ma mère et ma grand-mère,
j'ai été initiée pendant les vacances d'été par ma famille
turque à mon deuxième pays d'origine. Mon prénom était plus
difficile à prononcer pour certains que les prénoms des immigrés
de première génération.
Dans les années 90, j'ai eu la
chance de recevoir de mes parents ; deux appareils
photographiques. Ils étaient en froid, mais pratiquaient chacun à
sa façon cet Art. Ma mère avait pour sujet les jardins en fleurs ou
les côtes rocheuses. Mon père, qui nous voyait moins souvent avait
pour sujet, à ma connaissance, ma sœur et moi. Je m'essayais
moi aussi à cadrer les paysages, au côté de ma mère et ma sœur
lors de nos voyages... et à capter l'instant... Bizarrement, quand
j'étais avec mon père je faisais très peu de photos, puisque nous
étions son sujet favori ! Il était soucieux du détail et de
la composition. Je crois bien qu'il a dû faire un milliard de
portraits de nous.. dans l'immeuble de mes grands-parents à Hürriyet
en Turquie, au bord de la plage, à la piscine, dans les rues de
Bursa mais aussi dans les rues de Paris.
Avec le numérique,
mes parents n'ont plus eu de reflex.. Le temps à passé depuis cette
époque. De Paris je suis allée vivre dans le Sud à mes douze ans,
avec ma mère, ma sœur et mon beau-père décédé l'année
suivante. 16 ans de vie, où je pouvais quand il n'était pas
possible de voyager loin, aller le temps d'une journée, ou d'une
après-midi à la mer. Une autre vie s'est construite.
A 18
ans, quand je suis tombée enceinte, j'ai décidé de m'inscrire aux
Beaux-Arts. Petite, je voulais être photographe reporter, mais les
études de droit ce n'était pas mon truc. Je préférais pouvoir
être libre dans ma tête et travailler à construire un langage
artistique qui m'est propre, et qui ne serait pas guidé par
l'intention de quelqu'un d'autre.
Les années ont défilé,
je m'occupais de mon fils et travaillais la photographie. Je tirais
mes tirages en noir et blanc aimant l'obscurité silencieuse du labo
photo, et scannais mes négatifs couleur. Je travaillais également
la peinture avec des grands formats où le geste était guidé par
mon énergie intérieure..quand je n'étais pas modèle vivant,
barman, serveuse, plongeuse, médiatrice culturelle, animatrice
d'Arts plastiques, ouvreuse au Théâtre d'Arles, ou encore
photographe de mariage...
A ma sortie des Beaux-Arts, je
pensais qu'en trouvant un travail fixe qui me plairait je pourrais
investir dans mon matériel. Je suis alors devenue professeure,
et j'ai passé les concours. J'ai délaissé la peinture un temps
pour travailler le dessin, des gros pinceaux je suis passée à des
petits outils.
Depuis 5 ans, je suis revenue en
Île-de-France, mais cette fois-ci, je suis de l'autre côté du
périphérique ; je préfère les grands espaces. J'ai
commencé à prendre des cours de Théâtre. Quand je joue je me
sens exister. Toute mon énergie se condense pour imploser sur le
plateau en nuances ou par fracas, afin de servir le jeu.
En
dehors du Théâtre, ces dernières années, j'ai choisi de mettre
mes compétences au profit de mes élèves, ce que je ne regrette
pas. J'étais guidée par une énergie débordante. Mon corps fatigué
suivait la cadence. Petit à petit les projets m'ont submergée, avec
les responsabilités d'organisation... Les négatifs se sont accumulés dans des boîtes en métal,
plus assez de temps. Les pratiques de la peinture et du dessin sont
devenues plus ponctuelles..
Mais je suis tombée. Mon corps
m'a rappelé avec ses armes, avec la façon dont il a réagi, ce a
quoi j'aspire : créer, jouer, figer et enseigner.